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Extrait de la conférence présentée par Fred LE BRETON, le 25 janvier 2019, dans le cadre du 70ème anniversaire du
Conseil d'Administration de la Caisse Générale de Sécurité sociale de la Guadeloupe
Amédée Fengarol, un homme mystérieux
Amédée Fengarol, un homme mystérieux
Un mystère est souvent considéré comme ce qui est incompréhensible, caché, inconnu. La vie d’Amédée Fengarol a de quoi étonner plus d’un, nous le verrons. Mais un mystère, c’est aussi quelque chose d’obscur. Là encore, l’approfondissement du court passage de ce personnage sur terre laisse à penser qu’il y a des zones d’ombres à explorer. Nous n’évoquerons pas les aspects religieux ou rituéliques de ce terme. Encore que … au sein d’un parti politique local bien connu, il lui est voué un culte digne des traditions de la Grèce antique. Mais, nous n’en parlerons pas.
Entons donc dans les voies qui nous sont ouvertes pour mieux connaître l’homme, son action et sa légende.
- UN HOMME HORS DU COMMUN
Dire que la vie d’Amédée Fengarol est entourée de mystères est un doux euphémisme. Si l’on commence par sa naissance, on constatera déjà des interrogations. Pour la plupart des gens, il serait né à Saint Sauveur, dans la commune de Capesterre, le 30 mars 1905, à 3 heures de l’après-midi, d’une mère colporteuse qui revenait d’un voyage à St Domingue, et d’un père charpentier et originaire de la Martinique. Or, puisqu’il s’agissait du jeudi de la Mi-Carême et que la mairie de Capesterre était fermée, il sera déclaré comme étant né à Pointe-à-Pitre ce même jour, si l’on en croit le registre de l’Etat-civil de cette ville.
L’acte 94 du 6 avril 1905 indique qu’il serait le fils de la Dame Edinval Marie-Eugénie, 39 ans, née et domiciliée à Marie Galante. La déclaration a été faite par la sage-femme. Il sera reconnu par Nicolas Fengarol le 17 août de la même année, et par sa mère le 25 mai 1912. On le voit, dès sa naissance, Pasteur Amédée Fengarol est nimbé d’un mystère qui le suivra toute sa vie.
Pour le peu que l’on connaisse de son enfance, il l’aurait passée entre Capesterre (Belle-Eau) et Pointe-à-Pitre. Il a joué aux billes et fait des parties de foot-ball dans la mangrove de l’actuel quartier de Lauricisque, là où l’on jetait les tinettes du service des vidanges de la ville. Ses parents demeuraient à la rue du cimetière, vraisemblablement au niveau des nouveaux immeubles Tirolien, à Bergevin, derrière l’hospice Saint Jules qui est devenu depuis le Centre Rémy Nainsouta. A l’époque, signe de la pauvreté du quartier, la rue du cimetière n’avait pas de trottoirs.
Pasteur Amédée Fengarol faisait partie d’une fratrie de trois enfants. Il suivra ses classes primaires à l’école de garçons de la rue Henri IV où il se fera remarquer par ses bons résultats et ses qualités de médiateur dans les conflits. Puis il obtiendra son baccalauréat 1ère partie au Lycée Carnot. C’était la 2nde guerre mondiale, il préféra entrer dans la vie active plutôt que d’aller faire des études en France. Il exerça tout de suite dans l’enseignement public. Ainsi, il marqua son passage dans plusieurs écoles : La Rosière (Lamentin), Les Abymes, Grands fonds du Moule, Pointe-à-Pitre et Sainte Rose. Après la guerre, il sera affecté à la section commerciale de l’école technique du Lycée Carnot.
On appréciait chez lui son tact, et sa grande courtoisie qui était le fruit de l’excellente éducation qu’il a reçue de son foyer.
Il a eu cinq enfants de son premier mariage. Il fut veuf très tôt. Il n’en a pas eu de ses secondes noces avec Mademoiselle RACEL qui était institutrice à Capesterre Belle-Eau. Mais on peut signaler que certaines personnalités publiques revendiquent leur filiation naturelle d’Amédée Fengarol.
S’il était un excellent père, on admet généralement qu’il consacrait beaucoup de son temps à la vie publique et à la population pointoise en particulier.
- UNE VIE TOURNEE VERS L’AUTRE
Très tôt, notre jeune instituteur se tournera vers le syndicalisme, puis vers la mutualité. Ainsi, il sera promu Secrétaire général adjoint de l’Union départementale des syndicats CGT aux cotés de Sabin Ducadosse, Salvator Cidème et Lucie Adélaïde notamment. Il fera également partie de la Coopérative des fonctionnaires. Il deviendra le secrétaire adjoint de Félix Edinval au Syndicat National des Instituteurs (SNI) et le Délégué du personnel à la CADP (la Commission Administrative Paritaire Départementale).
Au milieu du XXème siècle, il y avait beaucoup de mutuelles en Guadeloupe. Pour autant, Amédée Fengarol, avec un groupe de collègues, va quand même créer une institution spécifique pour les enseignants. Ce sera la MGEN (Mutuelle Générale de l’Education Nationale). A cette même période, il participera à la mise en place de la Ligue de l’enseignement qui se fera connaitre par la MAE (Mutuelle Accidents Elèves) et surtout les colonies de vacances.
Amédée Fengarol, en tant que dirigeant de la Fédération communiste de la Guadeloupe, sera remarqué fin janvier 1945, lors de la grève des ouvriers de l’usine Marquisat, à Capesterre Belle-Eau.
Toujours « veillatif » sur les lois sociales qui se mettaient en place par les ministres communistes du gouvernement, et notamment par Ambroise Croizat (surnommé « le ministre des travailleurs »), Amédée Fengarol voulut, à l’instar de la « mère patrie » qu’il y ait également en Guadeloupe la mise en place du système de protection sociale : assurance maladie, système de retraites, allocations familiales, et amélioration du droit du travail, avec notamment l’institution des comités d’entreprise, la médecine du travail et la réglementation des heures supplémentaires. Hélas ! Ces lois étaient systématiquement refusées aux confettis de l’empire colonial français. Sur la fin de sa vie, Amédée Fengarol rappelait une phrase d’Ambroise Croizat prononcée lors de son dernier discours à l’Assemblée nationale, en octobre 1950 : « Jamais nous ne tolérerons que ne soit renié un seul des avantages de la Sécurité sociale. Nous défendrons à en mourir et avec la dernière énergie, cette loi humaine et de progrès… ». Phrase oh combien prémonitoire pour l’un et pour l’autre !
Après le 19 mars 1946, et sa loi dite de départementalisation, il y eut le décret du 17 octobre 1947 qui définissait les prémisses de la CGSS (Caisse Générale de Sécurité Sociale).
Pour que les choses avancent, il a fallu la détermination de nombre de militants dont Amédée
Fengarol, Sabin Ducadosse, Paul Thilby, Herman Songeons, Siméon Pioche, Nicolas Ludger (on ne peut les citer tous), mais aussi les interventions retentissantes des députés communistes à l’Assemblée Nationale : Gerty Archimède et Rosan Girard.
Pour accélérer les choses, on dit que dès juillet 1948, Amédée Fengarol recevait régulièrement à son domicile des vieux travailleurs et des bénéficiaires potentiels pour leur monter des dossiers.
Il a fallu à Amédée Fengarol beaucoup de calme et de sang-froid pour s’opposer au directeur régional, Monsieur Colladant, basé à la Martinique, qui freinait au maximum la mise en place du dispositif.
Ainsi donc, un premier conseil d’administration sera constitué le 26 janvier 1949. Les représentants des salariés sont Félix Edinval, Sabin Ducadosse, Nicolas Ludger, Herman Songeons, Paul Thilby, Mathurin Gob et Amédée Fengarol entre autres. Pour le patronat, on notait la participation de Messieurs Emile Isaac, André Baudin, Guy Dormoy, Henri Gascon. Les statuts de la Caisse de la Martinique et celle de la Réunion ont été adaptés afin d’obvier aux difficultés qui pourraient se présenter.
Lors de la séance privée du 26 janvier 1949, Amédée Fengarol est élu Président du Conseil d’administration à l’unanimité. Dans son mot de remerciement, il dit « Nous avons une charge extrêmement lourde à supporter ; nos épaules peut-être sont faibles pour une telle tâche, mais je suis persuadé que nous tous en y mettant le maximum de bonne volonté, nous arriverons à bout de ces difficultés. Nous aurons dans l’immédiat une énorme besogne à abattre. Je demande que tous ici, nous soyons bien pénétrés de ce que cette obligation nous imposera, non seulement une certaine bonne volonté, mais peut-être un évident dévouement. Il faudra que tous nous soyons décidés, et que nous soyons en mesure de sacrifier peut-être certaines habitudes, de renoncer à nos loisirs, à nos aises pourtant légitimes, pour mieux nous consacrer à l’accomplissement de la tâche qui nous incombe. Je ne doute pas que nous soyons décidés à travailler pour le bonheur de la classe ouvrière. »
Mais cette structure virtuelle n’existait que sur le papier. Avec Félix Edinval et Paul Thilby, Amédée Fengarol se rendit à Paris pour faire le tour des ministères afin de débloquer les freins administratifs. A son retour, il embauche la première salariée de la CGSS, Madame Paulette Thilby. Elle travaillera dans une pièce de son domicile à l’Assainissement. Comme il était maire adjoint de Pointe-à-Pitre, il obtint de la municipalité l’autorisation d’occuper une petite pièce de l’hôtel de ville qui était situé à la rue Achille René-Boisneuf.
Enfin, en septembre 1949, la structure aura pignon sur rue « dans une belle demeure coloniale en bois qui s’étendait entre cour et jardin, de l’impasse Brissot de Warville au Quai Lefèvre », comme le disait feu Guy Daninthe. Ce local étant exigu, les réunions du Conseil d’administration se tenaient toujours à la mairie.
On peut préciser qu’à l’époque, la Caisse ne gérait que trois services : l’immatriculation des salariés et des employeurs (ces derniers marquant une réticence non dissimulée à fournir les renseignements demandés, encourageant même les salariés à ne pas fournir leurs documents d’Etat-civil pour s’opposer à la retenue du précompte). Le second service offert était la perception de cotisations sociales et le troisième, l’allocation aux vieux travailleurs salariés.
Sur ce dernier point, Fengarol s’est personnellement et résolument investi pour obtenir des résultats tangibles.
Mais la détermination d’Amédée Fengarol pour la mise en place de la Sécurité sociale était concomitante avec son action politique qu’il mènera au péril de sa vie.
- UNE DESTINEE FATALE
Maire-adjoint de Pointe-à-Pitre, Conseiller général, Amédée Fengarol avait une vie publique débordante. Il se multipliait pour être sur tous les fronts. Il avait accepté que son parti désigne Gerty Archimède aux élections législatives pour que lui parte à la conquête de la mairie de Pointe-à-Pitre jusque là dirigée alternativement par des socialistes et par des radicaux. Stratégiquement, il fera alliance avec la droite, ce qui lui permettra d’être élu le 10 janvier 1951 dans la confusion la plus totale. Toujours est-il que le soir de son élection il décède dans des conditions mystérieuses. On y revient, à notre mystère.
La politique, dit-on, est un jeu où les enfants ne jouent pas. Il faut savoir recevoir des coups … et en donner. Des coups, Amédée Fengarol en a reçu beaucoup. Sa grandeur d’âme et sa bonté naturelle ont fait qu’il n’en donnait pas.
- QUE DIRE EN CONCLUSION ?
Je ne ferai pas mystère de dire que je reste perplexe.
Y avait-il des jaloux ? La vie familiale compliquée d’Amédée Fengarol reste encore un mystère.
Y avait-il des inimitiés ? Les autres enseignants qui voyaient qu’un jeune avait une affectation à Pointe-à Pitre en avaient certainement ?
Y avait-il des adversaires ? Les membres de son parti ont pour le moins été surpris de le voir mener une alliance avec la droite. Les socialistes, pour leur part, ne cachaient pas leur hostilité à son endroit.
Y avait-il des contradicteurs ? Le clergé n’appréciait pas beaucoup les idées communistes. Il n’était pas rare de lire dans les colonnes de l’hebdomadaire du diocèse des attaques virulentes.
Y avait-il des animosités ? Les planteurs et industriels l’avaient dans le collimateur. Lui, le meneur de grèves qui réclamait la détermination du prix de la tonne de canne avant la coupe.
Y avait-il des ennemis ? Le contexte de guerre froide et surtout les velléités d’une grosse entreprise sucrière américaine installée à Cuba pour s’assurer le monopole de la production de sucre et de rhum sur la Caraïbe ne seraient pas étrangères à des coups bas ici et là.
Pour mystérieuse que soit la vie d’Amédée Fengarol, on retiendra surtout qu’il a été le principal artisan de la création de la Sécurité Sociale en Guadeloupe.
Et c’est cela le plus important.